samedi 24 mai 2008

Last trip

Un ptit texte que j'ai écrit dans le cadre d'un cours d'écriture.

Un dernier voyage

Avoir la conscience du moment, c’est tout ce qu’il souhaitait. Comme si ce n’était pas le cas avant. Alors, il profiterait pleinement de sa vie. C’est ce qu’il pensait, ce qu’il désirait. Maintenant, je vais vivre.

Il sortit dans la rue et monta dans sa voiture, direction l'aéroport. Il ne savait pas lui même ce qu'il était entrain de faire. C'était comme si une force invisible le guidait. Il parcourut le grand hall du regard. Les voyageurs se pressaient devant les guichets, couraient vers les portes d'embarquement. Quelques couples s'embrassaient, comme pour se dire au revoir. Maintenant, je vais oser.

Ses pas l'attirèrent vers un guichet. Il ne réalisa ce qu'il était entrain de faire que lorsque la femme au képi bleu lui adressa la parole.

- Bonjour, dit-elle.

- Bonjour.

Elle avait un joli sourire. De jolis cheveux, aussi. David sourit à son tour, et tourna la tête vers le panneau où étaient affichés les vols prévus.

- Je souhaiterais prendre le prochain avion pour New York.

Maintenant, je vais vivre, pensa-t-il encore. La jolie brune lui tendit son billet, énonça quelques règles à propos de ses bagages.

- Vous n'avez pas de bagages ?

- Non...

Il n'avait pas envie de s'éterniser. Il sourit et se dirigea vers les boutiques au fond de l'aéroport, adressant un petit signe à la guichetière. Non, je n'ai pas de bagage. Je n'en ai pas besoin.

Il ne connaissait personne à New York. Eddie, un ami américain, avait de la famille là bas. Tout en sirotant son soda, accoudé au bar de l'aéroport, David hésitait. Après tout, s'il devait tout recommencer, autant le faire tout de suite et ne pas rechercher d'aide. Il se leva et se dirigea vers un distributeur. Il retira 500 euros, le montant maximum autorisé. Hésita un instant à jeter sa carte, mais la rangea dans sa poche. Il pourrait encore en avoir besoin.

Quand il s'assit sur l'un des nombreux sièges de la salle d'attente, il pensa à tout ce qu'il avait accompli jusque là. Rien. Ou pas grand chose. Vingt ans de sa vie gâchés par les études, par la course à l'argent. Vingt ans où il aurait pu profiter de sa jeunesse. Maintenant, il avait quarante et un an et commençait à peine à vivre. Que de temps perdu...

David ne savait pas vraiment ce qu'il ferait une fois aux États-Unis, mais il avait vraiment envie de voyager. Il voulait profiter, voir le monde. Faire ce que, pendant des années, il n'avait pas osé accomplir. Un tour du monde. Son regard s'illumina. Un tour du monde, et après... Et après, il pourrait partir. S'en aller de ce monde, parfaitement heureux. Avant de mourir, il voulait voir, toucher, sentir, ressentir. Des choses qui n'avaient jusque là pas eu de vrai sens. Bien sûr, il avait aimé. Il avait connu beaucoup de femmes. Mais jamais il n'avait connu le vrai amour. En fait, en y pensant, il n'avait jamais été vraiment heureux.

Le téléphone portable sonna. Comme émergeant d'un rêve, David baissa les yeux sur sa poche.

- Allo ?

A l'autre bout du fil, Aure s'inquiétait. Il n'était pas venu travailler aujourd’hui. Était-il malade ?

- Je suis un peu souffrant. Non, ce n'est pas la peine de vous déranger.

Aure ne voulait plus raccrocher. Comme si elle flairait quelque chose.

- Oui... Merci. Aure...

C'était maintenant ou jamais. Le moment du grand saut.

- Je vais partir. Oui. Non, je ne rentrerais pas. Non. Pas la peine d'essayer de me contacter. Oui...

Il raccrocha, sans lui laisser le temps de répondre. Puis il se leva, se dirigea vers la poubelle la plus proche et y lança son téléphone. Maintenant, on ne le dérangerait plus. Plus personne. Ni Aure, sa gentille secrétaire, ni son ex-femme, avare et acariâtre, ni ses associés. Personne. Je vais disparaître.

*

Il était assis à côté d'une jeune femme. Elle lisait, visiblement absorbée. Autour de lui, un silence religieux. Il tourna encore la tête. Tout le monde, ou presque, dormait. Les autres regardaient le film projeté sur l'écran au fond de l'avion. Quelques uns lisaient. D'autres bavardaient. Qui étaient ces gens ? Étaient-ils heureux ? Connaissaient-ils la valeur de leur existence ? La chance qu'ils avaient ? David regarda à travers le hublot. On ne voyait que d'infimes rayons de soleil à travers les nuages blancs. Des nuages comme il n'en avait jamais vu. C'était la première fois qu'il prenait l'avion. Et probablement la dernière.

Il aurait dû avoir peur de la mort, se sentir triste, mais ce soir là, dans l'avion, à des centaines de kilomètres de chez lui, il se sentait heureux. Heureux et libre. Si libre que ses idées vagabondaient dans son esprit et qu'il lui tardait de commencer son voyage. Un long voyage, à l'issue incertaine. Mais qu'importe l'incertitude. J'ai été incertain bien trop longtemps, pensa-t-il. Incertain, de nos jours, c'était comme être prisonnier. Prisonnier de son travail, de sa famille. C'était comme bâtir soi-même ses propres barrières.

Il était si simple de voyager. L'aéroport n'était qu'à vingt minutes. Mais il n'avait jamais osé bouleverser sa petite vie bien réglée. Une vie tranquille. J'étais tranquille, mais il me manquait quelque chose. Pourquoi n'avait-il jamais osé ? Il n'aurait pas su y répondre lui-même. Peut-être par peur. Peur de quoi ? De quoi avais-tu peur ? La jeune femme posa son livre sur ses genoux et regarda par le hublot. Son regard croisa le sien. Elle sourit. Il s'attendait à ce qu'elle dise quelque chose, mais elle retourna bientôt à son roman. Et elle, de quoi a-t-elle peur ? Je n'allais pas la manger. Pourquoi hésiter, pourquoi laisser passer des occasions quand elles se présentent ? Lui, il ne laisserait plus passer une seule occasion. Il allait vivre ses rêves, pour de bon.

C'était ce qui lui avait toujours manqué, en fin de compte. Son rêve, c'était de parcourir le monde. Mais ses pieds étaient restés bien ancrés au sol. Il s'était marié. Il avait eu deux enfants, un garçon et une fille. Il était devenu avocat. Avait divorcé. S'était remarié. Et ainsi de suite. Jusqu'à ce qu'un jour, il ne découvre qu'il souffrait d'un cancer et qu'il ne lui restait plus qu'un an à vivre. A quoi lui servaient maintenant les milliers d'euros amassés au cours de sa vie ? Sinon à lui permettre de réaliser son rêve. Un dernier voyage. Sans plus attendre. Respirer, voir.

Ce voyage, c'était ce qu'il rêvait de faire depuis vingt ans. Quand il était à l'université, son professeur de philosophie, Monsieur Chevalier, les avait invités lui et ses camarades à dresser la liste de ce qu'ils aimeraient faire, tenter, voir, avant de mourir. Sans hésiter, David avait écrit : « Voyager. Voir le monde ». A l'époque, ce rêve semblait réalisable. Mais au bout de vingt ans, il avait fini par devenir un lointain souvenir. Une accumulation de regrets et d'occasions manquées. A l'image de cette jeune femme à côté de lui, qui n'avait pas osé engager la conversation. Réaliser son rêve était maintenant devenu une urgence. C'était maintenant, ou jamais. Vivre pour mieux mourir, mais vivre quand même. Se sentir libre pendant un instant. Immensément libre.

- Vous rejoignez quelqu'un à New York ?

La façon dont il posa la question était si impromptue, si soudaine, que la femme paru totalement déboussolée.

- Non. Je vais visiter la ville, mais seule.

- Pourquoi seule ?

Elle sourit timidement, comme gênée.

- Et bien, personne n'a voulu m'accompagner. Certains n'avaient pas le temps, d'autres n'avaient pas assez d'argent... D'autres n'aiment pas voyager. Alors je me suis dit qu'il valait mieux partir seule, à l'aventure.


*


Quand l'avion se posa sur le tarmac, le ciel était sombre. Une fine pluie tombait. Ils longèrent la passerelle, sans cesser une seule fois de parler. Il n'arrivait plus à s'arrêter. C'était comme si un barrage avait été rompu dans son esprit, qu'il n'avait pas parlé à quelqu'un depuis des années. Et c'était le cas...

Elle récupéra son sac à dos. Il marcha à ses côtés, les mains dans les poches, avec pour seuls bagages ses yeux et sa liberté nouvellement acquise.

- Vous partez par où ?

Il leva la tête, surpris.

- Et bien... Je n'en ai aucune idée. En fait, je pensais partir au hasard.

- C'est parfait pour moi, répondit-t-elle tout sourire.

Elle leva un doigt. L'espace d'un instant, il crut reconnaître en elle un peu du jeune homme qu'il était autrefois. Celui qui rêvait de voyager. Mais qui n'avait pas osé.

- A droite ?

Il hocha la tête. Ils ne se connaissaient que depuis quelques heures, mais ils avaient décidé de faire un petit bout de chemin ensemble. Il lui emboîta le pas, puis ils se dirigèrent vers l'inconnu. Un inconnu qui ne leur faisait pas peur, bien au contraire. Tout en marchant, il sourit. Maintenant, je vais vivre.


3 commentaires:

Anonyme a dit…

C'est joli...

"Vivre pleinement", ça se travaille tous les jours ! Et peut-être même sans voyager : all you need is Love....

;)

Ironheart a dit…

Hm tu n'a pas tort, c'est vrai qu'au fond on peut voyager d'un tas de façon : en avion, en voiture...
Mais aussi en regardant un film au cinéma, en aimant quelqu'un... "s'évader", voyager dans sa tête ^^ (yes I know I need love, I know... lol)

Anonyme a dit…

J'adore, c'est tout a fait le genre de truc que je rêve de faire, tout plaquer et partir à l'improviste.

En parcourant ton blog je découvre que tu me ressembles beaucoup!